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Dans l’obscurité angoissante de la cave, Nora entendit un bruit de chaînes à côté d’elle, suivi d’un léger soupir. Elle passa la langue sur ses lèvres sèches avant de parler :
— Pendergast ?
— Je suis là, lui répondit une voix faible.
— J’ai eu peur que vous soyez mort ! s’exclama-t-elle, la voix tremblante. Comment vous sentez-vous ?
— Je suis désolé d’avoir dû vous quitter provisoirement. Combien de temps s’est écoulé, à votre avis ?
— Mon Dieu, mais vous devez être sourd, inspecteur. Le fou qui nous retient prisonnier est en train de torturer Bill !
— Professeur Kelly...
Nora se mit à tirer désespérément sur ses chaînes, en proie à une véritable crise de panique.
— Lâchez-moi ! Laissez-moi sortir d’ici !
— Professeur Kelly, tenta à nouveau Pendergast d’une voix neutre. Je vous en conjure, conservez votre sang-froid. Nous allons tenter quelque chose, mais vous devez retrouver tout votre calme.
Épuisée, Nora se laissa retomber sur le sol. Elle faisait des efforts désespérés pour obéir à cette voix rassurante qui cherchait à lui redonner espoir.
— Appuyez-vous contre le mur, fermez les yeux et respirez le plus posément possible.
Le ton de Pendergast avait quelque chose d’hypnotique et Nora se laissa faire. Elle ferma les yeux et s’appliqua à juguler la terreur qui l’envahissait en contrôlant sa respiration, comme le lui recommandait son compagnon.
L’inspecteur attendit que le souffle de la jeune femme se soit calmé avant de reprendre la parole :
— Vous vous sentez mieux ?
— Je... je ne sais pas.
— Continuez à respirer lentement, le plus régulièrement possible. Oui, comme cela... Et maintenant ?
— Ça va un peu mieux, merci. Mais que vous est-il arrivé ? J’ai vraiment cru que vous étiez...
— Je n’ai malheureusement pas le temps de vous l’expliquer en détail. Vous devez me faire confiance. Je vais commencer par retirer vos chaînes.
Nora se demanda un instant si l’inspecteur n’avait pas perdu la tête, mais elle entendit un bruit de chaînes et puis plus rien...
Elle tendit l’oreille, tentant vainement de comprendre ce qu’il était en train de faire dans l’obscurité. Comment pouvait-il parler de la libérer ? Et s’il avait reçu un coup violent sur la tête au moment de sa chute ?
Brusquement, elle sentit une main sur son coude et une autre sur sa bouche.
— Je suis libre à présent, lui murmura Pendergast à l’oreille. Vous le serez à votre tour dans un instant.
Nora n’en croyait pas ses oreilles. Sous l’effet de la surprise, elle se mit à trembler de tous ses membres.
— Je veux que vous vous laissiez aller. Vos bras et vos jambes doivent devenir souples, comme abandonnés. Relâchez tous vos muscles à présent. Complètement.
Il avait à peine terminé sa phrase qu’elle sentit les mains de Pendergast au niveau des poignets et des chevilles, et ses menottes tombèrent comme par miracle.
— Mais... mais comment avez-vous...
— Plus tard. Dites-moi plutôt quel genre de souliers vous portez.
— Quoi ? Qu’est-ce que mes souliers...
— S’il vous plaît, répondez à ma question.
— Attendez une seconde. J’ai des mocassins noirs à talons plats.
— Je vous demanderai de bien vouloir m’en confier un.
Sans attendre sa réponse, il enleva doucement l’une de ses chaussures. Nora perçut un faible bruit de métal, une sorte de frottement, et l’inspecteur lui rendit sa chaussure. Puis elle l’entendit taper sur quelque chose, comme s’il frappait les deux menottes l’une contre l’autre.
— Que faites-vous, inspecteur ?
— Je vous en prie, ne m’interrompez pas.
Malgré tous ses efforts, la jeune femme sentit une nouvelle bouffée de terreur l’envahir. Les hurlements de Smithback avaient cessé depuis quelque temps, et elle réprima un sanglot.
— Bill...
Les mains sèches et froides de Pendergast se glissèrent entre celles de Nora.
— Ce qui est arrivé est arrivé, nous n’y pouvons plus rien. Maintenant, je vous demanderai de m’écouter attentivement. Ne parlez pas, ne dites pas un mot. Quand vous voudrez dire oui, contentez-vous de serrer mes doigts. Surtout ne dites rien. Vous êtes prête ?
Nora serra entre les siens les doigts du policier, comme il le lui avait demandé.
— J’ai besoin que vous soyez forte à mes côtés. C’est à cette seule condition que nous avons quelque chance de réussir. Je dois toutefois commencer par vous dire que Smithback est très probablement mort à cette heure-ci, mais il reste deux vies à sauver : la vôtre et la mienne. Nous devons absolument empêcher cet homme de continuer à nuire, sinon d’autres mourront à leur tour. Vous comprenez ?
Nora serra les doigts de Pendergast. Paradoxalement, le fait d’entendre ses pires craintes exprimées aussi froidement semblait avoir sur elle un effet sédatif.
— J’ai réussi à confectionner un outil assez primitif à l’aide d’un morceau de métal prélevé sous la semelle de votre chaussure. Nous allons commencer par nous échapper de cette cellule d’ici quelques instants. La serrure est très ancienne, elle ne devrait pas me poser le moindre problème. Ensuite, je vous demanderai de suivre mes instructions à la lettre.
Elle serra sa main en signe d’acquiescement.
— Avant toute chose, je dois vous dire ceci : je comprends à présent, tout du moins en partie, le but que s’était fixé Enoch Leng. Pour lui, prolonger sa propre vie n’était pas une fin en soi. S’il le faisait, c’était pour se donner le temps de parvenir à ses fins. Il travaillait en effet à un projet de très grande ampleur, et il savait qu’il lui faudrait plus d’une vie avant d’atteindre son but. C’est pour cette raison, et pour cette raison seulement, qu’il a tout, fait pour vivre le plus longtemps possible.
— C’est incroyable ! Quel projet pouvait être plus important à ses yeux que cette formule de jouvence ? ne put s’empêcher de dire Nora.
— Je vous en prie, ne parlez pas. Mais pour répondre à votre question, je n’en ai pas la moindre idée. Le connaissant, j’avoue craindre le pire.
Obéissant à son compagnon, Nora gardait le silence. La respiration calme de Pendergast résonnait faiblement dans l’obscurité.
— Quoi qu’il en soit, reprit l’inspecteur, la réponse à notre question se trouve ici, dans cette maison. Dissimulée quelque part.
Un nouveau silence s’installa, que Pendergast rompit après quelques instants :
— Écoutez-moi très attentivement. Je vais commencer par ouvrir la porte de notre geôle, puis je me rendrai dans la salle d’opération improvisée de Leng afin d’y affronter l’homme qui a usurpé sa place. Vous resterez sagement cachée ici pendant dix minutes, ni plus, ni moins, avant de rejoindre à votre tour le bloc opératoire. Je vous l’ai dit il y a un instant, nous avons toutes les raisons de penser que Smithback est mort, mais il faut nous en assurer. Lorsque vous pénétrerez dans cette salle, j’aurai disparu en compagnie de notre imposteur. Ne tentez en aucun cas de nous suivre. Quoi que vous entendiez, ne tentez rien, ne venez pas à mon aide. L’affrontement risque d’être décisif. L’un de nous n’en sortira pas vivant. On peut simplement espérer que ce soit lui. Vous m’avez bien compris ?
Nora serra sa main.
— Si Smithback se trouve encore en vie, tentez votre possible. S’il n’y a plus rien à faire pour lui, votre priorité absolue sera de vous échapper de ce sous-sol et de quitter cette maison au plus vite. Il vous faudra monter au premier étage et vous échapper par l’une des fenêtres car toutes les issues du rez-de-chaussée sont condamnées.
Nora attendait la fin des instructions de son compagnon.
— Mon plan peut fort bien avorter, auquel cas vous me trouverez mort dans la salle d’opération. Si d’aventure c’était le cas, je ne puis que vous conseiller de fuir pour sauver votre vie. Vous aurez peut-être à vous battre, et j’ajouterai même qu’il ne faudra pas hésiter à vous tuer en cas de besoin. Tout vaut mieux que le sort qui vous attend si vous tombez vivante aux mains de ce criminel. Promettez-moi que vous serez assez forte.
Réprimant un sanglot, Nora serra une dernière fois les doigts de Pendergast entre les siens.